Par Sarah Michel, Sage-femme & Manon Fockedey, Doula
Introduction
Les trois premiers mois du post-partum, appelés aussi 4e trimestre de la grossesse peuvent être un challenge pour les nouveaux parents et particulièrement pour les mères [1]. Les femmes doivent non seulement se remettre physiquement de la grossesse et de la naissance, mais aussi (re)définir leur image du corps, leurs relations familiales et de couple et construire un lien d’attachement avec leur.s. nouveau-nés. Elles doivent aussi, dans de nombreux cas, prendre soin d’elles-mêmes et du reste de leurs familles [2]. Cette transition qui a lieu pendant le post-partum se poursuit bien au-delà du traditionnel rendez-vous post-partum des 6 semaines.
Cocktail hormonal du quatrième trimestre
La grossesse, l’accouchement et le post-partum sont traversés par une large fluctuation d’hormones [3,4,5]. Les fluctuations ne sont pas uniquement hormonales, il s’agit également d’une adaptation cardiaque, d’une augmentation du volume sanguin, d’une adaptation rénale et respiratoire, et enfin d’un ajustement immunitaire [4]. Une multitude de changements apparaissent et il devient de plus en plus clair que ces changements ont un impact à court et à long terme sur la santé de la femme [5].
L’ocytocine
L’ocytocine est une hormone puissante permettant par exemple l’éjection du lait maternel [3]. Elle réduit le stress en activant le système nerveux parasympathique qui engendre le calme et la connexion avec le nouveau-né [3]. Plus spécifiquement, durant la période du post-partum, l’ocytocine permet une adaptation postnatale en réduisant le stress, en augmentant la sociabilité et en permettant un attachement à l’enfant sur le long terme. Le peau à peau en post-partum immédiat permet d’entretenir le pic d’ocytocine dont les bénéfices sont les suivants : contraction plus efficace pour éviter l’hémorragie du post-partum, réchauffement du nouveau-né, facilitation de l’attachement mère-enfant et de l’allaitement maternel [3].
Les bêta-endorphines
Les bêta-endorphines sont produites en même temps que l’ocytocine et semblent faciliter l’euphorie maternelle après la naissance et le plaisir de prendre soin du nouveau-né [3]. Il s’agit également d’hormones libérées lors de l’allaitement maternel et qui, par leur action de bien-être, encouragent la mère à continuer d’allaiter son enfant [3]. Les bêta-endorphines sont des opioïdes naturellement produits par le corps, qui ont un effet analgésique et permettent une réponse au stress et à la douleur. Les bêta-endorphines sécrétées lors du 4e trimestre supportent par ailleurs la fonction immunitaire et le bien-être psychologique [3].
La prolactine
La prolactine est une des hormones essentielles de l’allaitement, mais également de l’adaptation maternelle, et permet une optimalisation de la santé maternelle et infantile, à court et à long terme. L’augmentation de la prolactine néonatale semble aider le processus de transition respiratoire et thermique [3]. Dans les études animales, la prolactine est importante dans le développement cérébral et particulièrement hormonal de la progéniture [3]. La prolactine est aussi nécessaire pour favoriser la montée de lait et entretenir la production de lait [3]. Finalement, la prolactine permet une adaptation maternelle et paternelle comportementale, permettant à ceux-ci d’augmenter leur vigilance et de proratiser les besoins du nouveau-né [3].
L’impact cérébral hormonal
Pendant la grossesse et le post-partum, le cerveau est exposé à une variété d’hormones auxquelles la femme n’a jamais été exposée de cette façon auparavant, telles que l’oestradiol, la progestérone et les corticostéroïdes, qui sont toutes des hormones placentaires. Beaucoup de ces hormones régulent la neuroplasticité, la neuro-inflammation et le comportement [6,5]. Il n’est donc pas étonnant que le post-partum entraîne un remaniement cognitif et une réponse au stress différente. Les imageries cérébrales faites en post-partum reflètent bien ces changements à court et à long terme [5].
Mais qu’attendent finalement les femmes et les familles ?
Au-delà des changements hormonaux, des soins physiques et de la surveillance médicale, les jeunes parents ont probablement avant tout besoin d’être reconnus dans ce qu’ils vivent, dans le déroulé affectif de tout ce que cette (re)naissance vient chambouler en eux. Un des rôles primordiaux que nous incarnons en tant qu’intervenants de première ligne est l’accueil et l’écoute du vécu des jeunes parents. Nous savons que le rôle de l’hypothalamus est essentiel au sein de cette période particulière et il est important d’en tenir compte en favorisant une naissance, un post-partum et un allaitement serein. Son activité peut en effet être altérée par des émotions intenses. Ouvrir un espace de parole où les jeunes parents vont simplement pouvoir déposer leur vécu et verbaliser leurs émotions aidera à les ramener à un état plus stable et centré. Offrir ce temps en début de consultation leur permettra d’être plus à même à comprendre et à intégrer les informations que nous pourrions leur transmettre lors de nos rencontres avec eux.
Soyons attentifs au vocabulaire que nous utilisons : essayons au maximum de rester proches du récit du parent en reformulant leurs propres mots, ou simplement en validant ce qu’ils viennent d’exprimer. Évitons d’interpréter au risque de créer ou d’amplifier des peurs chez la personne en face de nous. Une attitude d’ouverture par le regard et le langage corporel, le fait d’interrompre au minimum le flux de paroles, représentent déjà des points clés en matière de communication. De plus, au-delà d’apaiser leur activité cérébrale et de faciliter la communication entre nous, nous offrirons, de manière très simple et accessible, de la reconnaissance et de la validation à ces personnes qui apprennent un tout nouveau rôle. Nous savons tous combien les encouragements sont bénéfiques durant les premiers mois de ces « nouvelles vies ». En effet, la charge mentale et émotionnelle d’un nouveau-né est lourde à porter pour une cellule familiale nucléaire, ce qui correspond au modèle prépondérant dans notre région du globe.
Essayons d’encourager les liens, en leur proposant des activités qu’ils peuvent faire avec leur jeune enfant, tout en rencontrant d’autres personnes qui en sont au même stade de vie. Avoir un carnet d’adresses et des idées de lieux de rencontres fait partie de ces petites choses que nous avons à apporter aux parents dont nous croisons la route. En effet, encourager les familles à se créer un tissu social qui répond à leurs besoins spécifiques de jeunes parents leur permettra de trouver une autonomie sociale et affective en dehors des rendez-vous concernant les soins de santé et participera ainsi à leur équilibre psycho-affectif.
Préparation à la naissance
En tant qu’intervenants de première ligne, nous avons le rôle compliqué de réintroduire une forme de transmission concernant la culture de l’accouchement et du maternage, là où les nouveaux modèles familiaux ne se chargent plus du tout de cet aspect informatif. De manière générale, que ce soit en pré- ou post-natal, l’invitation serait d’avoir une approche plus large, plus globale. Les femmes qui s’apprêtent à enfanter et à devenir mères n’ont-elles en effet pas davantage besoin d’apprendre à avoir confiance en elles et en leur corps, plutôt qu’à simplement apprendre à respirer ? La préparation du 4e trimestre de la grossesse lors de la préparation à la naissance semble avoir un impact positif sur la diminution de dépression du post-partum [X].
Offrir des espaces ou des thèmes globaux ayant un impact sur le vécu de l’accouchement et du post-natal est une piste très enrichissante à explorer.
Dans notre pratique, essayons de rester ouvertes à l’idée d’aborder des sujets tels que :
- Le rapport de la personne enceinte à ses règles : les saignements peuvent être abondants et sur une durée plus longue après un enfantement : comment cela peut-il influencer la pudeur, les sorties, les rencontres sociales ?
- La sécurité financière : est-ce un stress quotidien ? La famille a-t-elle la possibilité d’allonger le congé d’un parent si le besoin s’en ressent ? Peut-elle faire face à un imprévu financier durant les premières semaines de vie ?
- Son rapport à la nourriture : comment la personne enceinte investit-elle son alimentation ? Comment ensuite l’entourage s’organisera-t-il pour assurer une nutrition régulière et enrichissante à la jeune famille ?
- Qualité de l’entourage : Qui appeler, de jour comme de nuit, si un besoin urgent se présente ? Qui pourrait être présent dans le respect et le non-jugement des émotions intenses qui peuvent être traversées une fois à la maison ?
- La communication au sein du couple : la qualité des échanges, la possibilité d’accueillir les difficultés de l’autre.
- Le rapport à la sexualité : dans quelle mesure la patiente est-elle sereine avec son sexe ? Des traumas éventuels sont-ils présents ?
Les familles que nous accompagnons ne doivent pas forcément ressortir avec des réponses à toutes les questions, mais proposer des temps et des espaces où nous les amenons à s’ouvrir aux questionnements, aux diverses possibilités, et aux difficultés qu’ils croiseront en post-partum nous paraît essentiel. Nous tentons ainsi de tisser des fils d’Ariane entre les parents, entre l’endroit où ils en sont, et les chamboulements de vie qui les attendent. Tisseuses de lien entre un maintenant bien concret et un futur encore flou et incertain. Ces sujets ayant déjà été considérés avant l’accouchement permettront alors d’éviter une phase d’incertitude totale après la naissance.
Nous pensons également que nous devons accepter la part d’insaisissable propre à nos métiers aux côtés des familles en devenir. Accepter que nous ne puissions pas aider à « tout préparer » ni à « tout planifier », mais qu’une partie de notre sagesse réside dans la transmission de la confiance, même au cœur des plus intenses tempêtes de vie. N’oublions jamais que nous avons l’honneur d’assister aux coulisses de deux éléments fondateurs et universels : la vie et la mort. La renaissance dans le deuil de soi et d’une vie qui est révolutionnée par l’arrivée d’une nouvelle âme. Car c’est bien au cœur de cela que tout se joue et que le tissage de cette nouvelle famille se fera plus ou moins sereinement.
📅 Prochains ateliers à venir
Références
[1] Verbiest, S. Bonzon, E., Handler, A. (2016). Post partum health and wellness: a call for quality women centred care. Maternal Child Health J, vol20(Suppl 1):1-7.
[2] Fahey, J., Shenassa, E. (2013). Understanding and meeting the needs of women in the postpartum period: the Perinatal Maternal Health Promotion Model. Journal midiwfery Womens Health, vol 58(6):613-21.
[3] Buckley, S. (2015). Hormonal Physiology of Childbearing: Evidence and Implications for Women, Babies, and Maternity Care. Washington, D.C.: Childbirth Connection Programs, National Partnership for Women & Families.
[4] Kinsley, C.H., Bales, K.L., Bardi, M., Stolzenberg, D.S. (2015). Reproductive experiential regulation of cognitive and emotional resilience. Neurosci. Biobehav. Rev, vol 58, 92–106.
[5] Duarte-Guterman, P., Leuner, B., Galea, L. (2019). The long and short term effects of motherhood on the brain. Frontiers in Neuroendocrinology, vol. 53.
[6] Leuner, B., Sabihi, S. (2016). The birth of new neurons in the maternal brain: Hormonal regulation and functional implications. Front. Neuroendocrinol, Vol 41 : 99–113.
[7] Clatworthy, J. (2012). The effectiveness of antenatal interventions to prevent postnatal depression in high-risk women. Journal of Affective Disorders, vol 137 (1-3) :25-34.